Un village et des lieu-dit

          C’est une belle ville que Paris. J’aime aussi les parcs de Londres où l’on peut s’endormir à même le gazon d’été. Tokio, New York étonnent, stupéfient, tandis que Sienne ou Roda l’Andalouse, peu à peu vous ensorcellent mon sillage et moi à travers les hommes. J’ai embrassé la France et l’univers, ici et là, partout à Vézelay, comme à Retaud et Saint Genés de Lombaud dans sa verdure, jusqu’aux Marquises, jusqu’aux Fidji et jusqu’à Sainte Hélène.
-« Y-a-t il un voyageur plus vagabond que vous ? » me disait, l’autre jour, un de Tabanac.
-« … et, en même temps, plus sédentaire ! ».
-« Expliquez-vous ? ».
-« Eh ! bien même parti, je reste ancré. Tabanac ne lâche pas facilement son homme. Vous appareillez et vous demeurez là, sur le rivage, je veux dire au sommet du coteau, au milieu des vignes. Et plus vous vous éloignez, plus Tabanac monte à l’horizon ; et plus vous rencontrez de Papous, de Chinois, de Turcs, d’Américains, plus les Tabanacais se font présents. A la fin, vous ne voyez plus que Monsieur le Maire et Monsieur le Curé ; Alban et Charlot qui ont toujours du boulot ; le facteur « Bonne-humeur » c’est Jeannot, le boulanger, Valentine, Madame Mathieu avec son casque de Fangio, et tant d’autres héros. C’est cela le voyage un cœur qui reste et un corps qui s’en va. On part, parce que l’on sait la solidité des amarres, « Je suis né là ; là je mourrai ».
Les habitants de Tabanac savent bien sûr, beaucoup de choses. Mais connaissent-ils leurs plus grands luxes ? L’espace, le silence, et, en même temps la liberté. Le moindre lopin fait l’homme libre. Tabanac, c’est la vie loin des hommes agglutinés et anonymes. C’est René Lassale qui fait griller son entrecôte sur le bord du chemin « Adieu, René ! Bon appétit ». Tabanac, ce sont ces saluts et leur chaleur humaine. C’est le coin de terre qu’ont peuplé nos enfances. Souvenez-vous nous avons été bons élèves avec M Daney, avec M Jacquet et d’excellents enfants de chœur avec les abbés Lafont, Daurel, Cazalis, Bertrand, Prieur. Nous étions premiers partout, rappelez-vous, surtout à la gambade, dans les coteaux de Rouquey à faire le sanglier avec les filles.
Tabanac, c’est encore autre chose de la beauté, dont, peu ou prou, obscurément ou non, nous avons tous besoin. A l’époque de la série, du tout prêt, tout cuit, tout digéré, Tabanac reste pur. Nul bâtisseur ne s’en empare. Où que vous alliez, à travers les vignes, de quelque endroit que vous contempliez l’Entre-Deux-Mers ou la Garonne, tout n’est que « luxe, calme et volupté ». L’œil est content de vivre en ce petit pays, le cœur de même et l’esprit tout autant. C’est ici que je suis le plus aimant, le plus gourmand et le plus paresseux.
C’est ici que je prends mon temps et que je rêve
Je dois tout à mon pays
Et, d’abord le bon vin ! A propos de bon vin, vous souvenez-vous du vieux Pierrille. A son dernier souffle, il appelait sa femme, la Zélie.
-« Zélie, tu me donneras un peu de vin, du nôtre, du meilleur, du Trente-quatre ».
Mais la Zélie, même au lit d’agonie de son homme, aimait bien trop les sous.
-« Du Trente-Quatre, au moment de « passer » ! T’es bien fou, mon pauvre homme ».
Et elle lui administra, après l’extrême-onction, un vin de je-ne-sais-où, un vin quelconque.
-C’est pas du vin, Zélie, c’est de la teinture d’iode » râlait Pierrille.
Il jura tant et tant qu’il se remit debout. La pensée du vin, son vin, lui donnait l’équilibre. Et, en queue de chemise, il alla jusqu’au chai quérir du Trente-Quatre et il en but tellement qu’il rosit, qu’il rougit, que la Zélie vit reculer la Mort dans l’ombre.
-« Jésus, Marie, Joseph ! » récitait-elle en se signant.
Vous me croirez, si vous voulez, après ce Tabanac, le vieux Pierrille vécut dix ans de plus.

  Pierre LUCCIN


Le vin de Tabanac

Savez-vous pourquoi j’étais gai
L’autre jour, au sortir de table ?
J’avais l’esprit comme un mousquet :
Ma verve était incontestable :
Mais mon aplomb était instable.
C’est que j’avais d’un vin en « ac »
Subi le charme délectable.
Prince, c’était du Tabanac.

Un nectar, dis-je. Quel bouquet !
Quel moelleux ! Quel vin redoutable !
Il rend fringant comme un daguet
Le vieillard le plus respectable.
Fut-il recteur ou connétable.
S’il vous fait un coup de Jarnac
On dit « c’était inévitable
Prince, c’était du Tabanac. ».

Ce n’est pas un vin de banquet
Ni communément achetable
Chez n’importe quel mastroquet.
C’est une liqueur de notable.
Quand Jupiter, comme un cornac,
Rendait l’Olympe inhabitable
Prince, c’était du Tabanac.

ENVOI

Ma ballade est-elle acceptable ?
Parbleu, répondra Pourceaugnac.
La muse fut charitable :
Prince, c’était du Tabanac.

Claude FAVILLE